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Le rejet du caractère professionnel d’un arrêt de travail devant les juridictions sociales n’empêche pas la reconnaissance d’un harcèlement moral devant le juge prud’homal.
Voilà une décision rare tant il devient difficile de caractériser les éléments d’un harcèlement moral.
Notre cliente, Mme X, en sait quelque chose : déboutée 2 fois de sa reconnaissance en accident du travail elle obtient finalement de la cour d’appel de Grenoble la condamnation de son employeur pour harcèlement moral.
Revenons sur cet arrêt rendu le 19 mars 2019.
Mme X a été embauchée par la société B en 1989, initialement en qualité de secrétaire bilingue.
Elle a été promue en tant que secrétaire de direction en 1991, en tant qu’assistante marketing en 1996 puis en tant que Chef de produit Europe junior en 2002, avant de devenir in fine, en avril 2006, chef de produit Europe.
En dépit d’évaluations professionnelles annuelles révélant une prestation de travail exempte de critique, la carrière de Mme X ne connaîtra aucune évolution notable par la suite.
Tout au contraire, elle constatera un amoindrissement de ses responsabilités au profit de certains de ses collègues.
L’éviction ainsi subie, couplée à l’absence de réaction de la hiérarchie, motivera un arrêt de travail continu durant six semaines pour un syndrome dépressif, en 2011.
Reprenant le travail, elle constatera, avec stupéfaction, que sa gamme avait été intégralement transférée sous la responsabilité d’un collègue.
La réitération par Madame X de son souhait légitime d’accéder à de nouvelles fonctions aboutira in fine, en novembre 2011, à une proposition de reclassement sur un poste de chef de produit international conditionnée à un passage sur un temps partiel.
Encore que n’étant nullement intéressée par une réduction de quantum hebdomadaire de travail, elle acceptera par dépit cette proposition.
Mais elle a été contrainte de repousser successivement un projet d’avenant emportant modification substantielle de son contrat de travail initial ainsi qu’un projet de « nouveau contrat ».
Par la suite, son employeur amplifiait l’éviction de Mme X en lui notifiant :

  • dans un premier temps, qu’il n’entendait plus la voir participer aux réunions de direction ;
  • puis dans un deuxième temps, qu’il résiliait unilatéralement un accord prévoyant que la prestation de travail s’effectuait, chaque jeudi, au domicile de la salariée.

C’est dans ce contexte que, finalement, l’employeur suggérait à Mme X une affectation à temps plein sur un poste en lien avec la communication de l’entreprise, alors même que celle-ci venait d’être affectée à temps partiel sur le poste de chef de produit international.
L’ensemble de ce qui précède motivera un nouvel arrêt de travail pour asthénie.
L’état psychique de Mme X connaîtra alors une nouvelle dégradation :

  • Son supérieur expédiait, en une seule journée, un total de treize méls en direction de la salariée ! ;
  • Puis la DRH sollicitait un entretien avec la salariée, sans toutefois en révéler préalablement le motif.

Un des témoins atteste :
« [ce jour là] en passant à côté du bureau de ma collègue Mme X, je l’ai vu en larmes. Je lui ai proposé mon aide et en trouvant son état préoccupant, je lui ai suggéré de rentrer chez elle. Durant cette journée elle est sortie plusieurs fois de son bureau à chaque fois en pleurant, je constate qu’au fur et à mesure de la journée Mme X manifestait des signes d’épuisement (la voix à peine audible et tremblante, la pâleur, une démarche hésitante). Peu après 16 heures, elle est venue me voir pour me dire qu’elle quittait son poste pour rentrer chez elle et elle m’a demandé d’informer son manager par mail de son départ. Elle m’a demandé de préciser dans ma communication qu’elle a quitté la société en pleurs et que les raisons de son état sont professionnelles. Ce que j’ai fait. »
Mme X consultera son médecin généraliste traitant, qui lui prescrira un arrêt de travail pour :
« Syndrome dépressif réactionnel à conflit professionnel et probable harcèlement depuis des années avec séries de mail aggravant la situation ce jour. Besoin d’être soutenue psychologiquement et ne pas rester seule. Suivie par le Docteur M., psychiatre ».
Le médecin du travail certifiait de même :
« … certifie avoir reçu en consultation Mme X. Cette dame m’a fait part alors des difficultés qu’elle rencontrait dans l’exercice de son métier et qui affectaient son état de santé. J’ai pu constater lors de cette visite médicale, que l’état de santé de Mme X était vraiment affecté. Je confirme aussi avoir eu au téléphone Mme X qui a souhaité m’informer que la journée de la veille avait été très difficile, qu’elle a quitté son travail en pleurs, et qu’elle a rencontré son médecin traitant qui a alors prescrit un arrêt de travail ».
L’arrêt sera ininterrompu jusqu’à son placement en invalidité et son licenciement pour impossibilité de reclassement après inaptitude.
Mme X avait saisi entre temps le Conseil des Prud’hommes d’une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur et le tribunal des affaires de sécurité sociale d’une demande de requalification de ses arrêts de travail en accident du travail.
Ledit Tribunal a statué comme suit :
« Dit et juge que c’est à bon droit que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Isère a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle le fait accidentel survenu le… »
Madame X a régulièrement interjeté appel de ce jugement par devant la Cour d’appel de GRENOBLE, qui, dans son arrêt, a confirmé le jugement : la messe paraissait avoir été dite !
Ainsi, le conseil des prud’hommes rejetait la demande de reconnaissance de harcèlement moral et de résiliation du contrat de travail au tort de l’employeur, mais constatait les erreurs de celui-ci dans la procédure de licenciement et disait ce dernier sans cause réelle et sérieuse.
Malgré cette reconnaissance partielle, Mme X décidait de faire appel, déterminée à voir reconnaître le harcèlement moral dont elle a été victime.
C’est l’arrêt dont il est question.
En cause d’appel, une nouvelle attestation était produite en justice, plus circonstanciée encore, le témoin rappelant expressément :
«  ….Durant les semaines précédant le départ de Madame X du bureau, je l’ai vu de plus en plus perturbée et j’ai pris la décision d’interroger ma collègue, car il m’était impossible de rester indifférente face à sa souffrance.
Je tiens à souligner que le mal-être professionnel de ma collègue a été constaté par le personnel sédentaire avec qui je me suis entretenu plusieurs fois à ce sujet.
Madame X m’a fait confiance et m’a montré les échanges avec sa hiérarchie et les RH. Étant donné mon ancienneté et une parfaite connaissance de la structure et de sa hiérarchie j’ai pu constater sans le moindre doute que Madame X était devenu la cible de son supérieur et des ressources humaines qui tentaient de donner à leur agissement et communication un caractère neutre et professionnel… »

L’arrêt expose sa motivation :
Aux termes des articles L.1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou psychologique.

Suivants les dispositions de l’article L 1154-1 du même code, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Le harcèlement moral n’est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l’ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d’un salarié défaillant dans la mise en œuvre de ses fonctions.

En l’état des explications et des pièces fournies, la matérialité d’éléments de faits précis, répétés et concordants laisse supposer, selon la Cour, l’existence d’un harcèlement moral.
La société explique pour sa part que ce flux de courriers électroniques incriminé ne constituait pas une particularité, mais présentait un caractère normal s’agissant d’un moyen de communication habituel dans l’entreprise, mais, pour autant, elle ne démontre pas que ce type de correspondance était habituel, Mme X n’étant d’ailleurs pas en télétravail ce jour-là, ni la nécessité de placer certains collaborateurs en copie des échanges.
L’employeur reconnaît avoir demandé de ne pas entrer en contact avec Mme X, mais soutient que c’était par volonté de s’assurer que les salariés en arrêts de travail puissent être véritablement déconnectés et ainsi préserver la santé de tout le personnel en situation d’arrêt de travail. Cet argument est jugé inopérant.
Enfin s’agissant de l’éviction de Mme X des réunions, congrès et conférences téléphoniques à son retour de congé maladie concernant la gamme de produits dont elle était responsable, la société affirme qu’elle a uniquement souhaité procéder à une nouvelle répartition de certaines gammes de produits entre les différents membres de l’équipe ce qui a été jugé comme une modification substantielle du contrat de travail de Mme X.

L’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Mme X sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’existence d’un harcèlement moral est donc démontrée.

C’est donc tout naturellement qu’enfin, après 3 décisions qui avaient validé le comportement de l’employeur, Mme X a pu obtenir la condamnation de son employeur pour des faits de harcèlement moral, justifiant ainsi sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de celui-ci.