Attention, le droit évolue vite, ce qui est vrai aujourd’hui peut ne pas être vrai demain. Les articles présentés peuvent ne pas être totalement adaptés à votre situation ou à l’état du droit. Ils reflètent l’investissement de notre cabinet auprès des victimes.
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Il y a des dates qu’on n’oublie jamais. Le 13 novembre 2015, la France bascule. Paris, un vendredi soir, une douceur presque anormale pour un mois de novembre. Des terrasses pleines, des rires, de la musique et puis l’horreur. 131 morts, des milliers de vies brisées. 90 au Bataclan, 39 sur les terrasses du 10e et du 11e arrondissement, un mort à Saint-Denis au stade de France. Une nuit où la ville lumière s’est éteinte.
Tout commence pour moi le 24 mars 2020. Mes clients s’appellent Frédéric et Eliane. Mais ce jour-là, c’est Frédéric que je rencontre pour la première fois. Il m’est adressé par un confrère Grenoblois croisé au palais un matin. Ce confrère avait l’air inquiet, il me dit « J’ai un ami Frédéric, il va mal, très mal. Il n’a plus confiance, tu devrais le recevoir. »
La perspective du procès du 13 novembre avance. On parle d’une ouverture en 2021. Et pour les victimes, cette annonce, c’est un séisme. L’espoir d’être entendu mais aussi la peur de replonger dans l’ambiance du 13 novembre.
Alors, je rencontre Frédéric le 24 mars 2020, il est 11h lorsqu’il pousse la porte du cabinet. Un homme longiligne, souriant, très souriant, des lunettes que je repère tout de suite parce que derrière ses lunettes, il y a un regard qui perce, un regard qui cherche. Quand il s’assoit, je comprends. Je comprends que ce n’est pas un dossier. C’est une blessure.
Le récit du 13 novembre
Alors, il me raconte. Il me raconte ce 13 novembre 2015, un weekend à Paris avec son épouse Eliane. Il est dans l’appartement parisien de l’ami d’Eliane qu’elle connaît depuis très longtemps. Le mari cet ami, un photographe célèbre est en Chine. Et dans l’appartement, il y a les deux pré-adolescents, une fille et un garçon qui jouent encore dans leur chambre.
Et puis arrive la soirée, l’envie de prendre un dernier verre ensemble. Ils sortent, laissent les enfants dans l’appartement. Frédéric et Eliane et leur ami sortent ensemble, vont dans un premier café mais il est plein, ils ne peuvent pas s’asseoir. Ils marchent un peu. Ils arrivent rue de Charonne. Ils s’arrêtent devant la belle équipe. Il fait doux, il fait très doux ce soir-là. Une de ces soirées parisiennes où tout semble couler. La lumière jaune égalant les rires, la musique, le tintement des verres, c’est Paris dans sa légèreté, Paris dans toute sa beauté. Cette impression qu’il ne peut rien vous arriver.
« Et puis le vacarme. Le verre explose, les cris, le sol qui se dérobe. Je me suis retrouvé projeté. Plus personne ne bougeait. Notre ami ne bougeait plus. J’ai tenté de la réanimer des minutes interminables. Un pompier a fini par poser une main sur mon épaule. Monsieur, ça ne sert plus à rien. »
Frédéric porte une chemise blanche tachée de sang. Avec Eliane, ils pensent tout de suite à ces enfants laissés seuls dans cet appartement parisien. Alors, ils décident de rentrer. Avant d’ouvrir la porte, il enlève sa chemise. « Je ne voulais pas qu’ils voient ça ». Ils leur disent l’indicible, les cris, l’appel téléphonique à ce père qui est à des milliers de kilomètres de là.
Le trauma et l'accompagnement
Lorsqu’il me raconte son récit, Frédéric me dit qu’il n’a jamais fait le deuil. Dès le lundi matin, après avoir passé le samedi au commissariat à Paris, le 36 quai des Orfèvres, ils reprennent leur travail comme si de rien n’était. Leur collègues de travail leur demandent « Tu as vu ce qui s’est passé vendredi ? » Chacun d’eux répond « Oui, j’ai vu. » sans dire qu’il y était.
Aujourd’hui, ils sont parties civiles dans une instruction pénale mais ils ne savent pas s’ils iront au bout, s’ils iront au procès. Alors, cette première rencontre, nous passons un pacte. Nous ferons ce choix ensemble, nous ferons ce chemin ensemble, accompagné d’un spécialiste du stress post-traumatique. D’abord pour comprendre. Est-ce que Frédéric et Eliane veulent être reconnus comme victimes ? Et si oui, comment les y préparer ?
Alors Frédéric revient souvent me voir. En fin de journée lorsque le cabinet est vide. Il n’y a plus de collaborateurs, collaboratrices, mes journées sont terminées. Mais j’ai besoin de lui consacrer ce temps particulier du soir pour l’écouter et pour cheminer avec lui. Nous parlons, nous avançons. Et puis un soir, plusieurs soirs après, il n’est pas seul. Eliane l’accompagne. « Je voulais savoir ce qui se passe dans votre bureau », me dit-elle. Ce secret de ce bureau que nous partageons et qui semble manifestement faire du bien à Frédéric. Alors, elle aussi peu à peu entre dans ce travail.
La préparation du procès
Pendant tout ce temps, l’avocat que je suis doit préparer le dossier pénal. L’arrêt de renvoi devant la cour d’assise fait plus de 500 pages. Le dossier en lui-même est une montagne. Des millions de pages, des centaines de milliers de pièces, des années d’enquête. Le travail des avocats s’organise par groupe en région. Moi, je décide de prendre en charge tout ce qui va concerner l’un des terroristes, le suédois Osama Krayem. L’un des accusés les plus énigmatiques pour moi. On le reconnaît à cette cicatrice à l’œil. On le verra pendant le procès dans une vidéo de Daesh dans le désert. Au moment où un pilote jordanien est brûlé vif dans une cage, des images qui ont glacé le monde. Osama Krayem faisait partie des terroristes présents dans cette macabre mise en scène.
Le procès V13
Le 8 septembre 2021, le procès V13 s’ouvre. Un palais réaménagé, une salle monumentale protégée par des tireurs d’élite, des chiens, des portiques, une salle d’audience pensée pour l’histoire. Je prends ma place juste en bas des avocats généraux, ce sera la mienne pendant les 10 mois de ce procès. Deux à trois fois par semaine, je monte à Paris. Les TGV de l’aube, les nuits d’hôtel, les couloirs vides après les audiences.
2 jours après l’ouverture du procès, Frédéric et Eliane témoignent. Leur voix, leur silence et ce moment totalement inattendu. La fille de leur ami, celle qui avait 12 ans en 2015 vient, elle n’est pas convoquée. Mais le président Jean-Louis Perès accepte qu’elle témoigne. Elle tient la main de son père et dit simplement « Je n’en veux à personne. » Elle raconte ses années sans la chaleur de sa maman, sans le réconfort de sa maman. Comment cette petite famille a dû se réorganiser. Comment chacun a pu gérer sa peine, son désespoir, l’absence. Ce que nous voyons à l’audience amène chacun dans un silence profond. Nous assistons à une réconciliation à voix basse, un moment d’humanité pure.
Les témoignages
Des voix comme celle-ci, il y en aura pendant tout le procès des centaines. Des rescapés, des familles, des policiers, des pompiers et puis cette jeune femme dont je n’effacerai jamais le souvenir. Elle avait rendez-vous ce soir-là avec un homme rencontré en ligne. Ils ont une vingtaine d’années. Leur histoire devait commencer. Lui voulait s’installer à l’intérieur du restaurant. Elle, elle voulait fumer. Alors, ils se sont assis dehors sur une petite table. Quand les tirs ont éclaté, il s’est jeté sur elle, il l’a protégé. Son corps criblé de balles. « Je n’ai jamais serré la main aussi fort de quelqu’un que je ne connaissais pas », a-t-elle témoigné. Cette phrase, je crois qu’elle restera gravée, elle contient tout. La peur, la vie, le lien, la beauté fragile de l’humain au bord de l’abîme.
Les débats juridiques
Pendant le procès, à côté de ces moments d’humanité, les questions juridiques, les débats. Fallait-il montrer le Bataclan ? Fallait-il écouter les bandes sonores, les cris, les rafales, la panique ? Fallait-il faire revivre l’horreur ou la protéger ? Le président Perès a tranché avec pudeur, montrer oui mais sans effondrer. Faire confiance d’abord à la parole.
Et puis il y avait les témoins malheureux comme l’indiquait le parquet national antiterroriste. Ces témoins voisins de Saint-Denis qui ont vécu l’assaut contre Abaaoud. Pendant longtemps, ils ont hésité. Étaient-ils des victimes, étaient-ils des témoins ? La justice a tranché. Elle a tranché en leur reconnaissant le statut de victime. Ce qui a consisté pendant le temps de V13 à une véritable avancée juridique. Le droit a évolué avec V13. Le droit des victimes a ouvert une nouvelle page de reconnaissance.
La plaidoirie et le verdict
Le 23 mai 2022, il est 18h09. Je me lève pour plaider. Je parle d’Osama Krayem mais aussi de deux autres terroristes Bakali et Sofien Ayari. De leur trajectoire de mort et d’endoctrinement. Je parle aussi de Frédéric et d’Eliane et de toutes les vies croisées pendant ces 10 mois d’audience. Pendant que je plaide, Benoît Springer, un dessinateur d’audience tracera mon profil. Ce dessin est aujourd’hui dans mon bureau.
Le 29 juin 2022, le verdict tombe. Abdeslam, perpétuité incompressible. Abrini, perpétuité 22 ans de sûreté, les autres des peines lourdes. Aucun appel. L’histoire est jugée.
Alors de tout cela, je garde en mémoire les visages, les regards, les notes, les nuits blanches. Cette photo de moi assis, penché, le stylo à la main. Ce dessin de moi assis, penché, le stylo à la main. Ce jour-là, j’étais à ma place. Aujourd’hui, je sais que j’ai simplement fait mon métier. Accompagner Frédéric et Eliane pour qu’ils puissent tourner la page sans l’oublier mais sans s’y perdre.
Parce qu’au fond le procès des attentats, le procès V13, c’est ça. Une leçon de droit, une leçon d’humanité et le souvenir de ces silences que plus jamais je n’oublierai.
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V13 : Une nuit brisée, des vies debout – Récits et justice après le 13 Novembre
Au cœur du procès des attentats du 13 novembre 2015, Maître Hervé Gerbi raconte, avec pudeur et simplicité, le parcours de celles et ceux qui ont survécu et trouvé la force de témoigner. Un récit immersif qui montre comment la justice écoute, comment la parole recoud, et comment, même après l’horreur, l’humain arrive encore à faire circuler un peu de lumière.
L'auteur de cet article :

Me Hervé Gerbi, Avocat fondateur et Gérant.
Avocat à Grenoble, Maître Hervé GERBI est spécialisé en dommages et préjudices corporels, et en corporel du travail. Il est titulaire d’un diplôme de psychocriminalité (analyse criminelle).

