Attention, le droit évolue vite, ce qui est vrai aujourd’hui peut ne pas être vrai demain. Les articles présentés peuvent ne pas être totalement adaptés à votre situation ou à l’état du droit. Ils reflètent l’investissement de notre cabinet auprès des victimes.
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Cour d’Appel de Grenoble, 19 mars 2024.

C’est une décision de première importance que nous venons d’obtenir de la cour d’Appel de Grenoble en matière d’expertise judiciaire.

Appelée à statuer, notamment, sur la présence – ou non- de l’avocat de la victime et des médecins conseils à l’examen clinique de celle-ci par le médecin expert, elle tranche une question sur laquelle notre cabinet s’est investi depuis plus de 10 ans, avec d’autant plus de force qu’elle pose une question de principe juridique à laquelle personnellement je n’ai été confronté que de façon exceptionnelle*.

Rappel historique local.

Le 16 juillet 2013, j’écrivais au Président de la compagnie des experts de l’époque, m’interrogeant sur une lettre circulaire adressée par celle-ci aux experts médicaux et préconisant « l’interdiction de la présence des avocats à l’examen clinique judiciaire ».

En retour, le président de la compagnie des experts me répondait que cette position résultait d’un avis émis dans une réunion tripartite entre les chefs de juridiction et le bâtonnier, au terme duquel, si un avocat manifestait le souhait d’être présent à l’examen clinique (ce qui peut notamment être le cas quand la victime n’est pas assistée, à la différence de l’assureur, d’un médecin conseil), l’expert devait saisir le juge chargé du contrôle des expertises civiles en « soulignant la remise en cause du secret médical ».

Sans détour, je répondais le 22 octobre suivant :

« Le secret médical – « qui n’est institué [que] dans l’intérêt des patients », art. R 4127-4 du code de la santé publique– est librement révocable par son bénéficiaire alors que « le juge civil ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique l’y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en ordonnant à l’expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l’exécution de cette mission à l’autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime » (Civ. 1ère, 11 juin 2009 ; bulletin 2009, I, N°128).

A cette jurisprudence, j’ajoutais en renvoi le rapport déposé par le Conseil National de l’Ordre des Médecins du 21 octobre 2011 ainsi que le guide des bonnes pratiques conclu en son temps entre la fédération française des compagnies d’assurances et la fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation, toutes deux rappelant la primauté du choix de la victime, seule dépositaire du secret médical et, partant, seule décisionnaire du choix des participants à l’accedit judiciaire.

Dans une lettre circulaire en date du 16 décembre 2013, le président de la compagnie des experts, rappelant mon interpellation, s’adressait cette fois à l’ensemble des médecins experts inscrits à la cour d’appel de Grenoble pour leur faire part du nouvel avis cosigné du Premier Président de la Cour d’Appel et du Procureur Général en date du 21 novembre 2013 au terme duquel :

« Celle-ci [la victime] peut toutefois demander que seul l’expert soit présent à cet examen, au motif du respect de l’intimité du corps humain. Elle peut aussi demander la présence de son avocat ou de toute personne de son choix.

Ces principes s’appliquent au seul examen clinique et ont pour finalité la protection et l’assistance de la personne examinée sans qui soit porté atteinte au secret médical auquel il peut être dérogé à la demande expresse du patient ».  

Les choses et le débat juridique devaient en rester là pendant 10 ans.

Jusqu’à donc ce que, à la faveur de nouveaux magistrats, chargés d’instruire les référés, la mission des experts ne comporte une mention excluant formellement les avocats de l’examen clinique.

 

La décision rendue par la Cour d’Appel le 19 mars 2024.

La rédaction de cet arrêt reprend en réalité l’essence des arguments que nous développions déjà il y a 10 ans :

Dans le cadre de l’expertise médicale, l’expert désigné est soumis au principe du secret médical énoncé aux articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique. L’article L. 1110-4 du code de la santé publique garantit à toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement de santé, un organisme de prévention ou établissement du secteur médico-social le droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Mais le secret n’est pas opposable au patient qui est titulaire de ce droit propre et peut délier le médecin de ce secret.

Ainsi, dans la phase de l’examen clinique, le secret médical ne peut absolument pas constituer un obstacle légitime à la présence de l’avocat, puisque le secret médical a vocation à protéger le patient et non à entraver l’exercice de ses droits et rien ne s’oppose à ce que la présence de l’avocat puisse être autorisée dès lors que la personne souhaite que son conseil soit présent à cet examen et qu’elle est libre d’écarter le secret médical, qui a pour seul objectif de préserver son intimité et qui est édicté dans son intérêt et non dans celui de l’expert. Cette volonté de la victime est de surcroît garantie par l’article 36 du code de déontologie médicale, repris à l’article R. 4127-36 du code de la santé publique qui dispose que le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Au regard de ce qui précède, aucune disposition légale n’interdit la présence de médecins-conseils et celle de l’avocat aux côtés de la victime, a fortiori dès lors que cette dernière émet expressément cette demande, leur présence étant de nature à garantir à la victime le bon déroulement de l’examen. Le respect du principe du contradictoire par l’expert ne saurait non plus, dans ce cas, rendre indispensable la présence des avocats des autres parties au stade de l’examen clinique de la victime, dès lors que le principe du contradictoire oblige seulement l’expert, lorsque les parties ne sont pas assistées d’un médecin conseil, à porter à leur connaissance le résultat des investigations auxquelles il a procédé hors leur présence afin de leur permettre d’être à même d’en débattre contradictoirement avant le dépôt du rapport d’expertise (Civ. 2ème, 18 janvier 2001, n° 98-19958 ; Civ. 3ème, 4 janvier 2011, n° 09-17397). 

Ainsi, le principe du contradictoire sera respecté dès lors que les parties auront la possibilité d’avoir connaissance du résultat des investigations de l’expert judiciaire et de débattre contradictoirement des conclusions retenues dans son rapport.

Il y a 10 ans, à la suite de mon argumentation qui fut reprise par le premier président et le procureur général de la cour d’appel, je concluais ainsi :

« Il suit de là que le juge ne tire d’aucun texte le pouvoir d’interdire à l’avocat de la personne expertisée d’assister à l’entier accedit lorsqu’il en est requis par son mandant ».

Ce que la cour d’appel de Grenoble prolonge 10 ans plus tard de la sorte :

« Il n’y a donc pas lieu d’inclure dans la mission de l’expert la liste des personnes qu’il peut autoriser à assister à l’examen médical ou au contraire à lui interdire la présence d’autres personnes ».

 

Il aura fallu in fine qu’une nouvelle pratique s’instaure officiellement, mettant au jour les réelles difficultés éprouvées par les avocats de victimes lors des phases d’expertise judiciaire, pour que, 10 ans après un avis rendu par les plus hautes instances locales, c’est par l’effet d’un arrêt que le droit a tranché – temporairement ?- cette question juridique.

En remettant les victimes [et les patients] au centre de ce qui devrait être une préoccupation partagée par tous : le respect de leurs droits.

 

* les victimes que je j’assiste étant toujours assistées également d’un médecin de recours, sauf cas très exceptionnel ou en matière de psychiatrie, ma présence ne m’apparait pas opportune à l’examen médical