Attention, le droit évolue vite, ce qui est vrai aujourd’hui peut ne pas être vrai demain. Les articles présentés peuvent ne pas être totalement adaptés à votre situation ou à l’état du droit. Ils reflètent l’investissement de notre cabinet auprès des victimes.
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La pratique de l’expertise médicale soulève de bien nombreux problèmes auxquels les avocats sont, en leur qualité d’auxiliaire de justice, particulièrement attentifs : respect du contradictoire, respect du secret médical, respect de la dignité de la victime, compétence et indépendance de l’expert, etc.

 

Parmi ces problématiques, la question du conflit d’intérêt et du secret médical revêt une acuité certaine quand l’expert judiciaire est aussi médecin conseil habituel des compagnies d’assurances, et a fortiori, lorsqu’il est susceptible d’intervenir pour le compte de plusieurs compagnies parfois opposées dans des dossiers.

L’attitude récente de l’un de ces experts, et surtout la justification qu’il en a faite, nous ont contraint à déposer plainte contre lui, au nom de notre cabinet et en notre qualité d’auxiliaire de justice, devant le Conseil de l’Ordre des Médecins.

Les faits sont les suivants :

Mme X est victime d’un accident de la circulation.

Dans le cadre de son indemnisation, la compagnie d’assurance de cette victime organise son expertise médicale et désigne le Docteur Y, par ailleurs expert judiciaire,  en qualité de médecin conseil chargé d’évaluer son préjudice.

Après deux examens médicaux, la victime décide de contester le rapport de ce médecin conseil et demande une expertise judiciaire, directement contre l’assureur adverse.

Au cours de la réunion d’expertise judiciaire, qu’elle n’est pas notre surprise de constater que le Docteur Y, précédemment intervenu à la demande de l’assureur de la victime, et donc dans ses intérêts, se présente cette fois en qualité de médecin conseil de l’assureur du tiers responsable, donc en qualité de médecin conseil de son adversaire.

Ce faisant, ce médecin n’hésite pas à soulever au cours de la réunion des éléments, connus précédemment de lui, contre les intérêts de la victime.

Interrogé par nos soins sur ce qui nous semblait une possible erreur de sa part, ce médecin conseil se justifie en exposant avoir agi dans le cadre des conventions entre assureurs permettant à un médecin conseil désigné par une compagnie d’intervenir à la demande de l’assureur adverse si les compagnies sont d’accord.

Mais où est donc la place de la victime dans cette affaire et le respect de ses droits ?

Est-il admissible qu’un médecin, excipant par ailleurs de sa qualité d’expert judiciaire sur son papier à entête, convoque une victime au nom de l’assureur de celle-ci, recueille au cours de son expertise des données à caractère médical facilement consenties par une victime en situation de confiance avec ce médecin chargé par son propre assureur de l’évaluer, puis intervienne en cours de procès, à la demande de la compagnie d’assurance adverse ?

En vertu du respect du secret médical et du conflit d’intérêt manifeste, nous répondons que non.

Les motifs de la plainte adressée au Conseil de l’Ordre des Médecins sont les suivants :

« …En vertu de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique, « le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

 

Il est constant, en droit, « que l’obligation de secret professionnel qui s’impose au médecin ne saurait être levée par la circonstance que le patient aurait lui-même publiquement fait part de son état de santé » (CE, 29 déc. 2000 : N° 211240).

 

Ainsi, le moyen invoqué par le Dr Y, selon lequel Mme X aurait judiciairement produit « les deux rapports établis par mes soins » ne saurait, en aucun cas, délier ce praticien du secret professionnel auquel l’astreint l’article R. 4127-4 précité du code de la santé publique.

 

Dans une autre affaire dont la décision a été rendue publique le 6 novembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins Rhône-Alpes (N°2017.10) avait d’ailleurs conclu que « le Dr B. ne peut utilement se prévaloir des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 en soutenant que ce rapport était devenu une pièce administrative du dossier d’indemnisation amiable » et a ainsi prononcé la peine du blâme contre le médecin poursuivi.

Ainsi, l’argument du Dr Y, lequel serait « intervenu pour le compte de l’assureur mandaté aux termes de l’article L. 211-9 du code des assurances », n’a aucun fondement légal.

 

Si, en effet, il est constant que Mme X a, en acceptant un examen par le Dr Y, missionné par son propre assureur, incontestablement levé le secret médical au titre de la procédure d’expertise amiable, la patiente n’a, en revanche, jamais consenti à ce que le Dr Y, mandaté par l’assureur adverse [c’est-à-dire l’adversaire procédural de Mme X], exploite, a fortiori contre elle, « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris » durant l’examen auquel il avait précédemment procédé.

Dans ces conditions, et alors qu’il est de surcroît patent que le Dr Y se trouvait en situation de conflit d’intérêts, le Conseil de l’Ordre doit admettre que ce praticien, en agissant de la sorte, a violé le secret professionnel auquel il était réglementairement astreint, sans qu’y fasse obstacle, ainsi qu’il a été dit supra, la circonstance que Mme X aurait elle-même communiqué la ou les pièce(s) correspondante(s).