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C’est une décision de la Cour de cassation très commentée que notre cabinet a obtenue en matière d’aide humaine après accident. Rendue le 15 décembre 2022, sa portée continue de marquer, et nous l’espérons pour longtemps, le droit du dommage corporel.

> LIRE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 DÉCEMBRE 2022

Les faits sont les suivants :

Mme J., 26 ans,  est victime d’un accident en 2012 en qualité de passagère casquée.

Les blessures sont multiples sur le membre inférieur et l’expert judiciaire chargé d’évaluer le dommage retient entre autres un taux d’incapacité de 18%.

La question que nous avions posée dès le stade de l’expertise était celle de la nécessité d’une aide humaine permanente au vu des postures rendues difficiles par les séquelles.

L’expert n’a cependant pas retenu d’aide humaine, pour des motifs repris sans autre analyse par les premiers juges.

Dans son jugement de première instance, le Tribunal Judiciaire (ex tribunal de grande instance) d’Annecy, motivait son rejet de la demande le 10 janvier 2019 de la sorte :

« Il ressort du rapport de l’expert que Madame J. n’a pas besoin d’une tierce personne en l’état des séquelles existantes ;

En effet une contre-indication aux positions accroupies, au port de charges lourdes et une limitation du périmètre de marche, ne nécessitent pas l’aide d’une tierce personne, notamment parce qu’il est possible pour Madame J. d’éviter ces postures;

En outre ces limitations légères ont déjà été indemnisées dans le cadre du déficit fonctionnel permanent ; »

L’appel était nécessaire et justifié.

Dans son arrêt du 25 février 2021, la Cour d’Appel de Chambéry a fait partiellement droit à nos demandes, reconnaissant le principe de l’aide humaine mais portant le débat sur l’étendue du préjudice à réparer :

Sur le principe, la cour d’appel motivait ainsi :

« Mme J. souffre de raideurs articulaires et de douleurs qui contre indiquent les positions accroupies et le port de charges lourdes et limitent, outre son périmètre de marche, le temps durant lequel elle peut tenir la position debout.
(…)
Mme J. fait valoir qu’elle a besoin d’une tierce personne à raison de 3 heures par semaine pour les courses et le grand ménage, son père attestant de l’aide qu’il lui apporte à ce titre.
Même si ce poste de préjudice n’a pas été retenu par l’expert, il n’est, dans son principe, pas sérieusement discutable, notamment en ce qui concerne les tâches afférentes au grand ménage que Mme J. ne peut que partiellement accomplir seule. »

Mme J. obtenait ainsi en viager une aide annuelle de 20H.

C’est donc sur l’étendue de cette aide que nous proposions le pourvoi en cassation.

En effet, la motivation critiquable de la cour d’appel reposait sur cette formulation :

S’agissant en revanche des courses, leur fréquence peut être augmentée pour fractionner le port des charges lourdes et réduire le temps de présence debout dans les rayons ; et désormais, la prestation de livraison à domicile est proposée par de très nombreux professionnels, y compris de l’alimentaire.

Ainsi, toute aide humaine était rejetée par la Cour d’Appel de Chambéry, au motif que la tâche à accomplir pouvait être soit fractionnée, soit remplacée par un service de livraison à domicile.

Le pourvoi s’imposait.

Dans son arrêt du 15 décembre 2022, la cour de cassation a dit pour droit :

« Pour limiter à 20 heures par an, sa vie durant, les besoins d’aide par une tierce personne de Mme J., après avoir constaté que si, dans son principe, la nécessité pour Mme J. de recourir à l’aide d’une tierce personne n’est pas sérieusement discutable en ce qui concerne le grand ménage, l’arrêt relève, s’agissant des courses que, d’une part, leur fréquence peut être augmentée pour fractionner le port des charges lourdes et réduire le temps de présence dans les rayons, d’autre part, la prestation de livraison à domicile est désormais proposée par de très nombreux professionnels, y compris de l’alimentaire.

En statuant ainsi, alors que la victime d’un dommage n’a pas l’obligation de le limiter dans l’intérêt du responsable, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »

10 ans après son accident, et 3 décisions judiciaires après, le préjudice de Mme J. était enfin reconnu dans son intégralité.

En motivant ainsi sa décision, la cour de cassation rappelle 2 grands principes de la matière du dommage corporel, l’un découlant de l’autre.

Le premier principe est celui de la réparation intégrale du préjudice, en vertu duquel le régleur (juge ou assureur) doit dans sa démarche indemnitaire replacer la victime dans l’état dans lequel elle se trouvait avant l’accident.

Ce « replacement » fictif, s’opère financièrement en compensant les besoins nés du fait traumatique.

Le second principe, qui découle de celui-ci est celui de la non-mitigation.

Admise en droit anglo-saxon, la mitigation est l’obligation, pour la victime, de modérer, chaque fois qu’elle le peut, son préjudice et donc l’obligation à réparation du responsable et de son assureur.

Combien de fois devons-nous rappeler aux médecins experts que dans notre droit, en vertu du principe de non-mitigation, on ne peut par exemple imposer à une victime de subir une énième intervention chirurgicale au motif qu’elle apporterait un bénéfice réel ou supposé.

Reste que, et cette décision le confirme si besoin en était, les juridictions ne sont jamais soumises au rapport d’expertise médical et le juge, par le droit, est ainsi souvent placé en situation de rétablir le déséquilibre provoqué par une analyse médicale manquant somme toute d’empathie.