Attention le droit évolue vite, ce qui est vrai aujourd’hui peut ne pas être vrai demain.
Pour vérifier votre situation, contactez-nous

Dans sa décision du 8 mars 2022, le pôle social du Tribunal Judiciaire de Montpellier a condamné l’employeur à indemniser les préjudices subis par notre client [les noms sont changés].

Pierre ARIUS, titulaire du brevet de technicien supérieur agricole a été victime, le 23/05/2017, en qualité d’employé intérimaire par la société ACTINTERIM, travaillant pour le compte de la société NOUVEAUX PAYSAGES, d’un accident du travail dans les circonstances suivantes:

 

« Le 23 mai 2017, je me trouvais sur le chantier à BÉZIERS … J’étais ouvrier paysagiste, j’étais intérimaire. Le 23 mai 2017 vers 17h00, je me trouvais sur le chantier. M. Sébastien PIVERT se trouvait au volant d’une pelle hydraulique de marque KOMATSU. C’était le chef de chantier. Il avait chargé un bloc de béton sur les fourches de l’engin afin de le déplacer et de fermer l’accès au chantier. … Dans la manœuvre, il me demandait de mettre des cales en bois sous le bloc afin de protéger la dalle fraîchement coulée. Une fois le bloc posé sur les cales il a reculé brusquement et s’est rendu compte qu’il y avait un lampadaire derrière donc il a pilé et le bloc est tombé avec l’effet du balan. J’explique mieux : le bloc était vraiment sur le bout des fourches donc sous l’effet de la secousse, il s’est retourné et est venu m’écraser le pied droit. Donc je me suis retrouvé avec le pied coincé sous le bloc de béton qui fait 3,7 tonnes. »

La jeune victime de 27 ans subira de nombreuses interventions chirurgicales et de nombreux soins après avoir été d’abord amputé des 3ème, 4ème et 5ème orteil puis au niveau trans-métatarsien.

Des greffes de peau et de nombreuses reprises chirurgicales ont nécessité une longue rééducation.

Un taux d’incapacité de 30% lui a été reconnu par la sécurité sociale, lui permettant le versement d’une rente (dont nous connaissons tous les limites actuelles).

En droit, nous soutenions ainsi que le conducteur de la pelle hydraulique n’avait pas les autorisations nécessaires à la conduite de cet engin. 

La conduite de pelle hydraulique implique selon les dispositions des articles R 4323-55 à R 4323-57 du code du travail :

  • Un Certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité (CACES) de catégorie 2 ;
  • Une autorisation de conduite de l’employeur.

Interrogée sur ce point, l’inspection du travail avait conduit une enquête au terme de laquelle « il s’avère que le conducteur de la pelle hydraulique KOMATSU, Monsieur PIVERT Sébastien, chef de chantier de la SARL NOUVEAUX PAYSAGES, n’a pas d’autorisation de conduite pour ce type d’engin (catégorie 2) et n’a pas bénéficié de la formation requise (formations pratique et théorique) pour la conduite d’une pelle hydraulique ».

Surtout, la société défenderesse soutenait que « Monsieur PIVERT était titulaire d’une autorisation de conduite pour une pelleteuse depuis le 20 janvier 2015. Il a été conducteur d’engins en Suisse avant son embauche au sein de la Société NOUVEAUX PAYSAGES, et maîtrisait parfaitement ce genre de pelleteuse. En effet, il était titulaire d’un permis depuis 2007 pour conduire une pelle hydraulique sur chenilles ou pneu de plus de 5 tonnes ».

Or, l’examen attentif des pièces adverses témoignait d’une autre réalité.

En premier lieu, le « permis » produit en pièce adverse n’était autre qu’une « attestation de travail », rédigée par ce qui semble être, à l’époque, l’employeur suisse de M. PIVERT, et qui mentionne que « le porteur du présent permis satisfait aux exigences du règlement cantonal de prévention des accidents dus aux chantiers et de l’ordonnance sur les grues », et « a suivi les cours sur la prévention des accidents et a passé la catégorie du permis M2 Pelles Hydro sur chenilles ou pneu de plus de 5T ».

Outre que « l’attestation » dont s’agit émane de l’employeur et que le prétendu « permis » n’est pas versé au débat, ce document, qui atteste seulement qu’à la date de sa rédaction, l’intéressé était a priori en règle avec la législation suisse, mentionne in fine que « les prestations du permis ont été payées par l’entreprise Créations validité pour l’entreprise 3 ans ».

L’on voyait donc mal comment ce prétendu « permis », qui aurait été obtenu en Suisse en 2007, serait valable en France, sur un accident survenu chez un autre employeur en 2017.

En second lieu, l’article R. 4323-56 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur au 01/01/2017, prévoit que « la conduite de certains équipements présentant des risques particuliers, en raison de leurs caractéristiques ou de leur objet, est subordonnée à l’obtention d’une autorisation de conduite délivrée par l’employeur. L’autorisation de conduite est tenue à la disposition de l’inspection du travail et des agents du service de prévention des organismes de sécurité sociale ».

Seule comptait donc l’autorisation de conduite dont était ou non titulaire M. PIVERT au jour de l’accident.

Or, l’autorisation délivrée par la SARL NOUVEAUX PAYSAGES le 20/01/2015 mentionne que le porteur « est autorisé dans mon établissement à conduire les engins de type 1, 2, 4 et 9 minipelle, chargeuse, chariot élévateur ».

L’autorisation de conduite dont était titulaire M. PIVERT, restreinte aux « minipelles », n’était donc aucunement valable sur une pelle hydraulique du tonnage de celle impliquée dans l’accident survenu le 23/05/2017.  

La jurisprudence rappelle en la matière (Cour d’appel, Versailles, 5e chambre, 17 Mai 2018 – n° 17/01522) :

« C’est par ailleurs à tort que la Société fait plaider que le CACES n’étant ni un diplôme ni un titre de qualification professionnelle mais une simple reconnaissance de la maîtrise des connaissances et du savoir-faire d’un salarié à la conduite d’un véhicule, son absence ne saurait être considérée comme une faute. En effet, il ressort de la recommandation R389 de la CNAMTS et de la brochure ED 96 l’INRS, qu’elle verse elle-même aux débats, que le CACES est « un bon moyen pour l’employeur de se conformer aux obligations de l’article R. 4323-56 du code du travail qui exige l’autorisation de conduite du chef d’établissement pour la conduite de certains équipements présentant des risques particuliers ». Il sera rappelé que la formation du CACES enseigne ‘ les différents dispositifs de protection du conducteur ; les interdictions relatives au transport et à l’élévation de personnes ; comment circuler en toute sécurité avec un chariot : à vide, en charge, en marche avant ou arrière y compris avec une charge obstruant la visibilité et sur un plan incliné si nécessaire.

À défaut de justifier d’avoir pallié l’absence de ce certificat par une autre formation, délivrée antérieurement à l’autorisation de conduire un chariot à moteur, il doit être considéré que la Société a failli à son obligation de s’assurer, d’une part, que le salarié avait bien connaissance des conditions d’utilisation d’un engin par nature dangereux et, d’autre part, de sa capacité à le manier. »

 

Il convenait donc de retenir la faute inexcusable de la société ACTINTERIM, employeur juridique de M. Pierre ARIUS, sachant surabondamment « que l’existence de la faute inexcusable de l’employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire, victimes d’un accident du travail alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur sécurité , ils n’ont pas bénéficié d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés ; » (Civ. 2e, 18/11/2010 : N° de pourvoi : 09-71.318).

Enfin, il a été rappelé, à toutes fins utiles, que l’imprudence de la victime, à la supposer établie et fautive, n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable (Cass. ass. plén., 24 juin 2005 : Bulletin 2005 A. P. N° 7 p. 16).

 

Suivant notre argumentation, le pôle social du tribunal judiciaire de Montpellier motivait sa décision de condamnation in solidum de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice :

« La manœuvre maladroite de M. PIVERT apparait ainsi imputable à une faute inexcusable de l’employeur qui connaissait le risque lié à l’utilisation d’engins de chantier et les moyens de le prévenir par une formation suffisante de leurs utilisateurs.

La société NOUVEAUX PAYSAGES revendique cependant son engagement pour la sécurité de ses salariés se traduisant par l’insistance et la répétition sur les consignes à respecter à cet égard.

Sans méconnaître cette préoccupation, il y a lieu de dire que l’affectation de M. PIVERT, à l’utilisation d’un engin qu’il n’avait pas la compétence pour conduire constitue, quels qu’aient été les rappels aux règles de sécurité et de prudence qui ont pu lui être adressés, une faute inexcusable de son employeur ».

Une expertise a été ordonnée, la rente sécurité sociale a été majorée et la victime a pu percevoir une première provision de 30 000 euros.